Synthèse des propositions de l’ARE en vue d’une meilleure articulation entre le droit des sûretés et le droit des procédures collectives

La loi PACTE du 22 mai 2019 autorise le gouvernement à « prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de deux ans à compter de la publication de la présente loi, les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour simplifier le droit des sûretés et renforcer son efficacité, tout en assurant un équilibre entre les intérêts des créanciers, titulaires ou non de sûretés, et ceux des débiteurs et des garants » (art. 60). À cette fin, le 14 ° du même article met l’accent sur la simplification, la clarification et la modernisation des règles relatives aux sûretés et aux créanciers titulaires de sûretés dans le livre VI du code de commerce, en particulier dans les différentes procédures collectives. L’objectif affiché[1] est de promouvoir des sûretés renforcées et assurant l’équilibre des intérêts entre les créanciers et les débiteurs.

A ce propos, l’ARE souligne que les intérêts des créanciers et des débiteurs ne sont pas antinomiques : un meilleur traitement des créanciers munis de sûretés passe par l’amélioration des chances de sauvetage de l’activité du débiteur. Ainsi, l’amélioration de l’efficacité des sûretés réelles doit prendre en compte le critère de l’utilité des biens pour la poursuite de l’activité du débiteur ainsi que les garanties dont bénéficient l’AGS qui sont indispensables pour permettre la continuité de l’activité et le respect du principe de solidarité. L’amélioration des chances de sauvetage de l’activité du débiteur conduit également à envisager une amélioration du rang des créanciers qui financent la période d’observation ou les plans de sauvegarde et de redressement. Par ailleurs, si l’adoption d’un plan de sauvegarde ou de redressement n’est pas possible, la poursuite de l’activité doit être favorisée en assurant une meilleure visibilité pour les potentiels repreneurs en plan de cession au regard des sûretés qui grèvent le patrimoine du débiteur. Enfin, l’objectif de poursuite de l’activité du débiteur vaut en procédure de sauvegarde comme en procédure de redressement, dès lors les cautions devraient pouvoir bénéficier du même traitement dans ces deux procédures.

Les propositions formulées par l’ARE sont ainsi regroupées selon quatre axes :

  1. Moduler l’efficacité des sûretés réelles selon le critère de l’utilité du bien grevé pour la poursuite de l’activité du débiteur
  2. Améliorer le financement de la période d’observation et des plans de sauvegarde et de redressement
  3. Assurer une meilleure visibilité pour les potentiels repreneurs en plan de cession
  4. Aligner les conditions de traitement des cautions, personnes physiques ou personnes-morales membres d’un groupe, en plan de sauvegarde et de redressement

1. Moduler l’efficacité des sûretés réelles selon le critère de l’utilité de la sûreté pour la poursuite de l’activité du débiteur

Des sûretés réelles efficaces apparaissent indispensables pour favoriser les investissements. Pourtant, elles ne doivent pas compromettre le redressement de l’entreprise lorsqu’une poursuite d’activité est envisageable. A contrario, lorsque le bien grevé n’est pas utile à la poursuite de l’exploitation, rien ne s’oppose à ce que les créanciers détenteurs fassent jouer pleinement leurs droits. Cette idée peut recevoir deux applications :

  • Pendant la période d’observation ou l’exécution des plans, l’interdiction de transfert des actifs fiduciaires faisant l’objet d’une convention de mise à disposition au profit du constituant dans le cadre d’une fiducie-sûreté ne devrait s’appliquer que lorsque ces actifs sont jugés nécessaires à l’exploitation. En cas de mise en place de cette fiducie dans le cadre d’un accord de conciliation homologué, il reviendrait au tribunal de déterminer dans le jugement d’homologation, si les actifs fiduciaires sont des biens nécessaires à la poursuite de l’activité. À défaut d’accord de conciliation homologué, la liste des biens remis en fiducie nécessaires à l’exploitation serait déterminée par ordonnance du juge-commissaire dès l’ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire.
  • L’association Henri Capitant préconise l’extension du domaine de l’attribution judiciaire et l’ouverture de l’attribution conventionnelle dans la liquidation judiciaire à tous les créanciers munis de sûretés réelles. Une telle disposition rendrait la cession de l’entreprise, en liquidation judiciaire, plus difficile, voire impossible, et contribuerait à réduire encore plus l’actif des liquidations judiciaires au risque de remettre en cause l’équilibre financier de l’AGS, et l’efficacité du privilège des créances postérieures et du privilège de conciliation. Ainsi l’ARE suggère de distinguer entre la liquidation judiciaire avec et sans poursuite d’activité. L’attribution ne devrait pas être possible pendant un éventuel maintien d’activité en liquidation judiciaire ou en cas de plan de cession.

2. Améliorer le financement de la période d’observation et des plans de sauvegarde et de redressement

L’ARE suggère plusieurs propositions pour faire évoluer les règles relatives au traitement des créances postérieures.

Concernant le financement de la période d’observation

  • La période d’observation est souvent financée par les fournisseurs du débiteur. Or, lorsque la procédure est convertie en liquidation judiciaire à la suite de l’adoption d’un plan de cession par exemple, ces créances postérieures utiles perdent le droit de priorité qui leur permet de bénéficier du paiement à l’échéance. Le privilège de procédure dont ils bénéficient à défaut de paiement à l’échéance, est ensuite primé par d’autres créanciers dont notamment l’AGS au titre de son superprivilège. Ils perdent, dès lors souvent, toute chance d’obtenir le paiement des créances résultant par exemple de prestations fournies au débiteur alors même qu’ils ont contribué à la poursuite de l’activité. Ces créanciers devraient pouvoir être payés avec les créances clients qu’ils ont permis de générer. Si les praticiens comprennent la nécessité de réserver un traitement superprivilégié à une partie des créances de l’AGS pour des raisons de solidarité, il faut toutefois protéger les créanciers qui ont permis la poursuite de l’activité pendant la période d’observation.
    Ainsi, l’ARE propose que les fruits de l’exploitation de l’activité pendant la période d’observation soient affectés en priorité aux créanciers de la période d’observation. Cela implique que les créanciers ayant financé la période d’observation priment tous les autres créanciers (y compris l’AGS) pour le recouvrement des sommes qui résultent de l’exploitation de l’activité pendant la période d’observation. En revanche, l’ARE estime qu’il est légitime que les sommes qui ne résultent pas de l’exploitation de l’activité pendant la période d’observation, comme le prix de cession, restent affectées en priorité à l’AGS et autres créanciers privilégiés énoncés à l’article L. 641-13, II du code de commerce.
    En contrepartie, pour préserver l’équilibre du budget de l’AGS, l’ARE suggère, en complément de la proposition de l’Association Henri Capitant qui préconise l’extension du domaine de l’attribution judiciaire et l’ouverture de l’attribution conventionnelle dans la liquidation judiciaire à tous les créanciers munis de sûretés réelles, de réserver à l’AGS un pourcentage soit du prix de revente par le créancier des biens qui lui auront été attribués, soit, à défaut de revente, de la valeur de ces biens.
  • Par ailleurs, les créanciers ne consentiront à financer l’exploitation de l’activité pendant la période d’observation que s’ils peuvent obtenir un suivi sur l’affectation de ce financement. Ce suivi est assuré par l’administrateur judiciaire qui contrôle l’affectation de ce financement. Il est essentiel de lui donner les moyens de sécuriser le remboursement de ces financements. Or, lorsqu’une procédure de sauvegarde ou de redressement est convertie en liquidation judiciaire, l’administrateur judiciaire est dépossédé de la trésorerie et des comptes clients qui passent dans les mains du mandataire judiciaire devenu liquidateur judiciaire. L’ARE propose que l’administrateur judiciaire conserve la gestion de la trésorerie et des comptes clients lorsque la procédure est convertie en liquidation judiciaire afin qu’il puisse assurer la clôture des opérations d’exploitation de la période d’observation, et ce durant un délai maximal de six mois après la conversion de la procédure. En contrepartie, la responsabilité de l’administrateur judiciaire serait étendue jusqu’à la fin de ce délai.
    L’ARE précise cependant que le liquidateur doit pouvoir utiliser la trésorerie restée dans les mains de l’administrateur pour mener les opérations de liquidation (exemple : paiement des assurances).
  • Enfin, l’ARE suggère que tous les stocks de la période d’observation soient, dans le cadre d’un plan de cession, revendus par l’administrateur judiciaire au moins à prix d’achat, ce qui permettrait de garantir le créancier qui finance ces stocks.

Concernant le financement des plans 

L’ARE est favorable à la création d’un privilège dit d’« argent frais » pour favoriser les financements et l’apport de biens ou services en vue d’assurer la poursuite d’activité à l’entreprise en cours d’exécution de son plan de sauvegarde ou de son plan de redressement.

Un plan de sauvegarde ou de redressement sur trois est inexécuté au bout de trois ans car l’entreprise a besoin d’investir pour rester compétitive, tenir compte des évolutions de la demande, de la concurrence et de l’innovation. Or, la mobilisation des capacités humaines peut rapidement apparaître insuffisante, les capacités financières sont parfois principalement affectées au remboursement du plan et les entreprises en cours de plan n’ont plus accès au crédit bancaire.

L’ARE suggère donc :

  • de créer un privilège de plan primant les créanciers antérieurs, similaire à celui prévu pour les accords de conciliation homologués, s’appliquant à tout apport ou engagement d’apport d’argent frais consenti à l’arrêté du plan, sous réserve que le tribunal valide que la rémunération requise n’est pas excessive.
  • de permettre également au commissaire à l’exécution du plan de saisir le tribunal en vue d’homologuer les apports d’argent frais réalisés durant les deux premières années du plan et non anticipés lors de l’arrêté du plan.
  • de rapprocher le régime de la consultation des créanciers sur la modification du plan de celui applicable à l’examen initial du projet de plan afin d’asseoir la règle selon laquelle le défaut de réponse du créancier consulté dans le délai de réponse vaut acceptation.

3. Assurer une meilleure visibilité aux potentiels repreneurs en plan de cession

Lorsque l’adoption d’un plan de sauvegarde ou de redressement n’est pas possible, il faut pouvoir assurer la continuité de l’activité par le recours aux plans de cession. Cependant, plusieurs dispositions, en l’état du droit positif, introduisent une insécurité juridique sur le périmètre des actifs repris en plan de cession et nuisent dès lors aux chances de poursuite de l’activité.

Concernant l’action en revendication

Les créanciers bénéficiant d’une clause de réserve de propriété peuvent revendiquer les biens concernés après l’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement sous certaines conditions. L’ARE observe que les différents délais qui entourent l’action en revendication (délai pour revendiquer, délai de réalisation de l’inventaire des biens par le commissaire-priseur, délais de paiement des biens vendus sous réserve de propriété) sont trop longs et de ce fait introduisent une insécurité juridique sur le périmètre des actifs du débiteur.

Il est proposé :

  • de réduire le délai de revendication à 1 mois à compter de la publication au BODACC du jugement d’ouverture, en prévoyant un délai de distance d’un mois supplémentaire pour les créanciers étrangers. En l’état du droit positif, ce délai est de trois mois à compter de la publication au BODACC du jugement d’ouverture ;
  • d’imposer un délai maximal de deux mois à compter de la désignation du commissaire-priseur durant lequel ce dernier devra réaliser l’inventaire des biens du débiteur
  • de permettre au juge-commissaire d’imposer des délais de paiement d’un bien vendu sous réserve de propriété dans la limite de la durée maximale de la période d’observation, en sauvegarde ou en redressement, ou dans la limite maximale de la durée du maintien d’activité, en liquidation judiciaire avec poursuite d’activité, lorsque ce bien est nécessaire à l’exploitation et tout en tenant compte des besoins du créancier.

Par ailleurs, l’ARE suggère d’assouplir le formalisme lié aux décisions statuant sur les requêtes en revendication : le juge-commissaire devrait pouvoir statuer par une seule ordonnance sur plusieurs requêtes en revendication portant sur des biens qu’il juge de même nature. Chaque revendiquant aura un droit de recours limité aux chefs de la décision affectant ses droits.

Concernant la sécurisation du périmètre de la reprise

Il est également proposé d’encadrer le transfert au repreneur de la charge de certaines sûretés, prévu à l’article L. 642-12, al. 4 du code de commerce. En effet, en pratique cela donne un pouvoir de fait considérable au créancier qui peut se substituer au tribunal pour le choix du repreneur. Ainsi, l’ARE suggère qu’à l’instar de ce qui est prévu en cas de reprise d’un contrat de crédit-bail, la charge de la sûreté transférée soit limitée à la valeur du bien cédé. Sauf accord entre le créancier et le repreneur, cette valeur sera déterminée par le tribunal, à dire d’expert, dans le jugement arrêtant le plan de cession.

Dans la même idée, le droit de rétention fictif crée un réel frein aux reprises en plan de cession et peut permettre aux créanciers de se substituer au tribunal pour le choix du repreneur. L’ARE suggère de préciser à l’alinéa 5 de l’article L. 642-12 du code de commerce, selon lequel le « le droit de rétention acquis par un créancier sur des biens compris dans la cession », n’est pas affecté par le paiement du prix de cession, que le créancier bénéficiant d’un droit de rétention fictif ne pourra percevoir une somme supérieure à la valeur du bien faisant l’objet de ce droit. Sauf accord entre le créancier et le repreneur, cette valeur sera déterminée par le tribunal, à dire d’expert, dans le jugement arrêtant le plan de cession.

Enfin, l’ARE propose d’avoir un registre unique pour chaque société mentionnant l’ensemble des sûretés consenties qui font déjà l’objet d’une publication en l’état du droit positif pour donner une visibilité d’ensemble aux éventuels repreneurs.

4. Aligner les conditions de traitement des cautions personnes physiques ou des personnes morales membres d’un groupe, en plan de sauvegarde et en plan de redressement

La différence de traitement des cautions selon qu’il s’agisse d’une procédure de sauvegarde ou de redressement est justifiée par la volonté de favoriser le recours à la procédure de sauvegarde. Cependant, elle entraîne souvent le choix de la mauvaise procédure par le dirigeant. Plus encore, lorsque l’état de cessation des paiements est avéré, elle peut inciter à retarder la déclaration de cessation des paiements. Or, il est constant que le cautionnement d’une personne physique est souvent une condition du financement à la charge de l’entreprise.

Ainsi, l’ARE suggère que la possibilité pour les garants personnes physiques de se prévaloir de l’arrêt du cours des intérêts en procédure de sauvegarde soit étendue à la procédure de redressement judiciaire tout comme la possibilité de se prévaloir des dispositions du plan de sauvegarde dont bénéficie le débiteur principal. Plus encore, cette possibilité devrait également être étendue aux personnes morales membres d’un même groupe. En effet, lorsque le dirigeant a pris la mesure des difficultés et a sollicité l’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement, il faut éviter l’effet domino et favoriser le redressement du groupe tout entier.

[1] https://www.economie.gouv.fr/files/files/2019/DP_PACTE_janvier_2019.pdf : page 32.

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